La Riposte Graduée au service des pirates : partie 1 « Le streaming »
Près de trois ans après la mission Olivennes, la pédagogie de nouvelle génération est en marche « la Riposte Graduée » est sur le point de voir le jour en France… Alors que son entrée en vigueur approche à grands pas (les premiers courriels sont attendus dans les jours à venir), quel est son impact sur les internautes français, et à fortiori sur les pirates ? Son effet dissuasif induit-il de nouveaux usages et comportements de la part des contrefacteurs français ?
État des lieux
Adoptée par l’Assemblée Nationale le 15 septembre 2009, la loi Création et Internet a pour vocation d’endiguer le phénomène de la contrefaçon numérique en France, en visant spécifiquement les réseaux Peer-to-Peer (P2P), protocole permettant l’échange de fichiers entre internautes. En plus des sanctions pénales et amendes déjà existantes en matière de contrefaçon et de recel d’œuvres contrefaites, la loi Création et Internet prévoit une Riposte Graduée, autrement appelée mécanisme de « désincitation », consistituée de trois phases qui sont dans un premier temps, un courriel d’avertissement, suivi d’une lettre recommandée, pour enfin aboutir à une suspension de l’abonnement Internet utilisé par le contrefacteur.
Forcés de s’adapter, les pirates ont développé des techniques de plus en plus simples et efficaces pour permettre aux internautes de télécharger rapidement et anonymement… Les solutions alternatives existent déjà pour les contrefacteurs, au premier rang desquelles se trouve être le streaming, qui permet de visionner une vidéo ou d’écouter de la musique sans avoir à les télécharger complètement, en passant simplement par l’interface de son navigateur Internet. De par sa facilité d’accès, son instantanéité et son caractère anonyme cette pratique connaît un essor considérable, que nous ne cessons de répéter depuis plusieurs années.
Le streaming face à la loi
Si théoriquement la responsabilité pénale incombe à l’hébergeur, ainsi qu’à l’internaute ayant mis à disposition le fichier illégal ou un lien vers celui-ci, il convient toutefois d’apporter quelques précisions relatives aux responsabilités de chacun.
La mise en ligne
Mettre en ligne un lien vers des œuvres diffusées illégalement en streaming, ou vers un site proposant ces mêmes œuvres est considéré comme étant un délit de contrefaçon de droit d’auteur (un complice peut
également être condamné des mêmes peines que l’auteur, au titre de complicité de contrefaçon, selon l’article 121-6 du Code Pénal).
L’hébergeur
Le fait d’héberger des vidéos en streaming sur son propre site, sans autorisation de l’auteur est passible d’une condamnation pour contrefaçon, jusqu’à 3 ans de prison et 300 000€ d’amende.
Il faut toutefois noter que l’hébergeur qui reçoit et diffuse les fichiers illégaux est civilement et pénalement irresponsable, sauf à avoir été prévenu et à ne pas avoir supprimé rapidement les contenus litigieux, auquel cas sa responsabilité peut être engagée en sa qualité de complice du délit de contrefaçon (article 121-7 du Code pénal).
Il faut également ajouter que l’on considère comme hébergeur non seulement les offres d’hébergement mutualisés (qui hébergent plusieurs sites) ou dédiés (le client dispose de son propre serveur), mais aussi ceux qui permettent d’éditer du contenu en ligne, tels que YouTube ou Dailymotion, et qui peuvent héberger de fait des contenus illégaux.
Le visionnage
L’internaute qui regarde une vidéo, ou écoute de la musique en streaming sur un site non autorisé par l’auteur tombe sous le coup du recel-profit, et risque jusqu’à 5 ans de prison et 375 000€ d’amende.
Néanmoins, la responsabilité de ce dernier n’apparaît pas comme évidente, car comme le précise Yannick Jobard, auteur du mémoire de recherche « Streaming et responsabilités »,
« L’alinéa premier de l’article L.122-3 du Code de la propriété intellectuelle dispose que : « La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de communiquer au public d’une manière indirecte. » Or, lors du visionnage d’un contenu en streaming, le contenu est téléchargé et stocké dans la mémoire cache de l’ordinateur de manière provisoire. Le caractère provisoire n’est pas exonératoire de responsabilité puisqu’en vertu de l’article 2 de la directive 2201/29/CE du Parlement européen : « Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou partie. ». Ainsi, le simple visionnage d’un contenu en streaming est donc susceptible de porter atteinte au droit de reproduction de l’auteur ou du titulaire de droit sur l’œuvre. »
Toutefois, ce même Code de la propriété intellectuelle, par le biais de l’article L.122-5, indique que le stockage sur la mémoire cache de l’ordinateur constitue une exception au droit de reproduction, l’utilisateur ne pouvant dès lors être poursuivi pour atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins. Dans ce cas précis, et comme indiqué plus haut, l’internaute qui accède à du contenu illicite en streaming est visé par l’article 321-1 du Code pénal qui considère cette action comme du recel-profit, à savoir profiter sciemment d’un crime ou d’un délit.
Pour plus de détails sur les articles de loi mentionnés dans ce texte, se reporter au billet consacré au streaming que nous avions publié le 22 décembre 2008.
La loi Création et Internet
Publié le 5 mars dernier au Journal Officiel, le décret n° 2010-236, portant sur l’application de la loi et qui vise la création du « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur Internet », précise dans son annexe les informations nécessaires à l’identification de l’abonné contrevenant. Cette identification s’obtient en croisant les données de connexion des Fournisseurs d’Accès à Internet, et les relevés d’adresses IP de contrefacteurs présumés fournis par les ayants-droits.
Parmi les données que doivent fournir les ayants-droit à la Haute Autorité figurent deux éléments qui induisent l’exclusion du streaming des protocoles visés par la loi :
- l’adresse IP des abonnés concernés, or il est techniquement impossible de connaître l’adresse des utilisateurs qui se connectent aux flux de streaming en HTTP surtout lorsque les serveurs sont hébergés dans des zones de « non droit d’auteur » ;
- le protocole pair à pair utilisé, ce qui vise spécifiquement les utilisateurs de logiciels P2P, excluant de fait toutes les autres formes de « consommation » de contenus illicites (streaming, newsgroups, direct download…).
Il faut également souligner qu’en visant spécifiquement les seuls réseaux P2P dans les relevés d’infraction, le décret contourne ce qui avait fait valider la loi par le Conseil Constitutionnel, sanctionnant toute infraction au droit d’auteur réalisée par communications électroniques, le seul protocole P2P constituant alors, lors des premières ébauches du projet de loi fournies par Renaud Donnedieu de Vabres en 2006, un régime d’exception au sein des délits de contrefaçon.
Panorama
La France reste le pays possédant l’arsenal juridique le plus protecteur des intérêts des ayants droit au monde, et la France a également toujours été précurseur au niveau européen en matière de loi régissant la protection des œuvres sur Internet. On constate pourtant en Europe une réelle disparité en matière de législation entre les différents États membres. Des pays voisins comme l’Espagne, l’Italie et encore l’Allemagne ont clairement indiqué qu’il n’y aurait pas de mécanisme de Riposte Graduée dans leur pays.
Ainsi, si nous prenons, un site comme RojaDirecta (en Espagne), qui met à disposition des internautes des liens permettant d’accéder à des retransmissions en streaming de multiples sports, ainsi que des liens de téléchargement d’enregistrements de ces rencontres, s’est vu déclaré légal à deux reprises par la justice espagnole, reconnaissant que le site ne faisait que simplifier l’expérience des utilisateurs en centralisant des liens déjà existant, et qu’ils auraient de tout manière été en mesure de trouver par leurs propres moyens. Les juges ibériques estiment ainsi que seul celui qui héberge le fichier ou le flux est responsable, pas celui qui met un lien à disposition, allant à l’encontre de ce qui se pratique communément dans le reste du monde, et à fortiori en France.
Impacts et perspectives
Alors qu’entre juillet et septembre 2007, CoPeerRight Agency publiait ses premiers communiqués de presse afin d’alerter les ayants droit et pouvoirs publics sur les effets pervers qui résulteraient de la mise en place du mécanisme de la Riposte Graduée, nous prévenions déjà : « Ce système accélérera le développement des technologies permettant l’échange de fichiers illégaux ». Force est donc de constater, que 3 ans après, le streaming apparaît de plus en plus comme une des alternatives la plus usitée par les contrefacteurs pour accéder à des fichiers vidéo et musique mis en ligne de manière illégale.
Le 14 Avril 2010, CoPeerRight Agency a eu l’honneur d’être invité par l’Union des Fabricants (UNIFAB), pour faire une présentation lors du 15ème Forum Européen de la Propriété Intellectuelle, ayant pour thème, Bruxelles, Madrid, Paris : face au faux, la puissance publique contre-attaque. CoPeerRight Agency n’a alors pas hésité à présenter en détail les limites techniques de la Riposte Graduée ainsi que les principaux effets pervers qu’entraîne inéluctablement ce mécanisme de « désincitation » :
1. les internautes contrefacteurs français utilisant le Peer-to-Peer seraient sanctionnés quand leurs homologues utilisant d’autres méthodes s’en sortiraient indemnes ;
2. les internautes contrefacteurs français, alors mis en garde, migreront vers d’autres méthodes de téléchargements (DDL, Streaming et Newsgroup…). Migration qui rendra très rapidement impossible l’identification de ces mêmes internautes contrefacteurs (« pas vu pas pris« ) ;
3. la professionnalisation de la contrefaçon numérique, certains agissant véritablement en réseau organisé, faisant régler forfaitairement les accès illégaux par les internautes (forme de licence globale) et induisant un trouble certain (est-ce vraiment illégal si j’ai payé ?) ;
4. passage progressif d’un modèle où les internautes échangent gratuitement des contenus contrefaits (P2P) vers un modèle de monétisation de l’offre et de la demande de produits numériques contrefaits (Compte premium MegaUpload…, VPN, SeedBox, Newsgroups privés, rémunération des sites pirates par le biais de la publicité, porno, jeux de casino en ligne illégaux…) ;
5. concurrence déloyale des sites pirates face à l’offre légale rendant quasiment impossible le développement commercial de la VOD, MOD… dans de bonnes conditions en France ;
6. Le rapport coût /efficacité /résultats pervers obtenus avec la Riposte Graduée, à court et moyen terme et surtout à grande échelle.
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Le 22 juin dernier, le directeur général du studio Paramount, Frederick Huntsberry indiquait qu’il ne croit pas à l’efficacité de la riposte graduée pour lutter contre le piratage, en évoquant les mêmes problèmes que ceux que nous soulevions depuis plus de 3 ans et ce, malgré nos différents échanges avec les membres de la mission Olivennes, le sénateur Thiollière, rapporteur du projet de loi Hadopi 1 et Hadopi 2, et divers députés de tout bord politique…
Nous assistons donc impuissants, en quelques 2 ou 3 ans, à la « riposte non graduée des pirates », alors que la Hadopi n’a pas encore commencé à déployer son dispositif pédagogique de prévention du piratage. Avant même la réception des premiers courriels d’avertissements, force est de reconnaître qu’il y a bien une mutation des usages et pratiques de ‘’consommation’’ de contenus numériques contrefaits par les internautes français. Cette mutation (ou migration des usages), préfigure la complexité de l’application effective de la loi Création et Internet, et de son impact sur la diminution de la contrefaçon numérique en France, qui bien au contraire, ne cesse de croître sous diverses formes de plus en plus complexes à combattre…
Il devient de plus en plus urgent que le législateur et l’industrie de la Culture se rendent compte de ce qu’est la faculté d’adaptation humaine ainsi que le bon vieux réflexe français du « Pas vu pas pris« …
Ce qui me surprend le plus, c’est que vous avez été tant consultés et si peu écoutés… Le plus surprenant c’est que pour l’appel d’offre Hadopi, ce soit une entreprise inconnue qui ait été retenue par les Sacem, Alpa, SPPF… Cela démontre bien la dangerosité du lobbying utilisé à outrance et sans connaissance effective des problèmes à résoudre.
Voici les propos de Christine Boutin (« Déjeuners avec des ministres sous pression » (Albin Michel), qui résume très bien le pourquoi du comment :
<< dans cette affaire, il s’est fait avoir comme un bleu". "Il a reçu les artistes en 2006 à l’UMP. Il était tellement content de les avoir autour de lui qu’il les a écoutés" >>.
Pas étonnant alors que le legislateur n’ai suivi vos précieux conseils.
Sarkozy «prend les Français pour des cons», selon Cohn-Bendit, et bien les francais (et les majors) prennent Sarkozy pour un c** ! Ce n’est que le début, le retour de baton va faire très mal quand il va devoir se servir d’Internet pour se faire réélire, les Internautes s’en souviendront et s’en donneront à coeur joie sur Internet… Il n’y a pas à dire, il a été très très mal conseillé sur ce dossier notre Président, j’espère que ses conseillers assumeront les conséquences de leurs incompétences comme devra bientôt le faire, le président de tous les français.
Dites j’ai une question ?
si mon père se fait prendre avec de l’alcool sur l’autoroute, ma mère peut re prendre le volant et les autoroute ne lui sont pas interdites !
Par contre sur les autoroutes de l’information, si mon père se fait flashé par Hadopi TOUTE la famille sera privé d’Internet ?? Plus personne ne pourra circuler sur le Net, car J’AI téléchargé comme un porc ;D
Elle est où la logique avec les autoroutes ?
Une question me vient a l’esprit, l’HADOPI ne serait-elle pas qu’une machine a emplois fictifs…? (c’est déjà un gouffre financier). En effet, sa création, sa mise en place et son utilité (supposée) a fait l’objet de tant de controverses que c’en est devenu une saga ! Pas besoin de Nostradamus pour savoir a l’avance que ce monstre technico-juridique n’aura aucune influence sur le comportement des internautes, que pas un sou de plus, par conséquent, ne tombera dans l’escarcelle des ayant-droit. Autre revers de la médaille, l’image détestable que ce sont données les majors, certains artistes, des organismes comme la SACEM, etc.. qui se sont fourvoyés dans cette pitoyable mascarade en déclarant guerre ouverte a leurs clients potentiels ou avérés (les maisons de disques en particulier).
L’internaute « contrefacteur », lui, n’a pas de souci a se faire, la liste plus ou moins exhaustive des moyens de contournement que vous citez parle d’elle-même. Bref, l’HADOPI n’est pas une épée de Damoclès pour les pirates, mais un grand coup d’épée dans l’eau et surtout dans le budget de l’Etat
Fuyez, jean-fesse. Je reste et j’emporterai une partie de l’ennemie dans la bataille. Fuyez encore, ils sont en route pour le streaming, puis s’attaqueront au chiffrage, en montrant du doigt les utilisateurs du libre…
Je reste.
Vous connaissez les VPN…
Non ? ben vous êtes des truffes… et franchement HADOPI, ça fait rire les internautes un « tout petit peu », (pas beaucoup) averti… le dl illégal a de très longs beaux jours devant lui…
Bises à tous
Pour répondre à la question de Jimmy : Elle est où la logique avec les autoroutes ?
Je vais t’expliquer :
Sur l’autoroute ce sont les forces de l’ordre qui t’attrapent (CRS, Gendarmes, Policiers). Par contre sur l’autoroute de l’information, c’est une police privée (appartenant à un acteur comique) qui sera chargé par des clients privés (sacem, sppf, alpa), d’attraper les vilains pirates.
Cela aurait été tellement plus simple si on avait laisser faire ce travail à la police, en plus cela aurait coûté moins cher aux contribualbles français, car dans cette situation, il n’y avait pas besoin d’agents assermentés (sacemm, sppf, alpa), puisque les forces de l’odre sont assermentés ! A moins que la police et gendarmerie n’est pas d’outils pour faire ce travail, j’en doute.
En plus, je me suis aperçu que cette société privée ne publiait pas ses comptes depuis 2007. Pas très transparent tout ça !
http://www.societe.com/bilan/trident-media-guar-sa/441392586200712311441392586200612311.html