Les mesures techniques de protection
Une protection technique des supports d’œuvres de l’esprit en déclin…
Mesures techniques de protection (MTP), interopérabilité… Autant de termes techniques étrangers au droit d’auteur bâti par la loi fondatrice du 11 mars 1957 et pour lesquels il faut désormais s’accommoder. Les MTP avaient suscité d’importants espoirs chez les ayants droit. Au bout du compte, les problèmes récurrents qu’elles ont posés ont davantage nui aux titulaires de droit qu’aux internautes, ceux-ci préférant se détourner de cette offre légale très restrictive au profit des réseaux P2P et autres modes de contrefaçon numérique.
DÉFINITION
Aux termes de l’article L. 335-1 du Code de la Propriété intellectuelle, insérée par la loi DADVSI du 1er août 2006, une mesure technique de protection peut se définir comme toute technologie, dispositif ou composant permettant aux titulaires de droits de contrôler l’utilisation faite de leurs œuvres grâce à l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage, ou encore tout mécanisme de contrôle de la copie. Elles permettent également de véhiculer des informations sur les œuvres et les ayants droit. Les mesures techniques de protection sont également parfois désignées sous le terme « DRM » de leur équivalent anglais (Digital Rights Management).
LA PROTECTION JURIDIQUE DES MTP
Depuis la loi du 1er août 2006, les mesures techniques de protection bénéficient d’une protection juridique qui permet de sanctionner leur contournement en lui-même. Toute atteinte volontaire portée à un dispositif technique destiné à empêcher les actes non autorisés par le titulaire de droit d’auteur est sanctionnée en tant que telle, même si l’utilisateur estime bénéficier d’une exception au droit d’auteur.
Un décret du 23 décembre 2006 relatif à la répression pénale de certaines atteintes portées au droit d’auteur et aux droits voisin a été adopté, afin de parfaire le dispositif de sanction du contournement des mesures techniques de protection. Les articles L. 331-5 et suivants et R. 335-3 et suivants du CPI prévoient plusieurs dispositions encadrant la mise en œuvre des mesures techniques visant à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées d’une œuvre par des titulaires de droit sur celle-ci. Ces textes prévoient trois sanctions différentes qui peuvent aller de 750 euros d’amende jusqu’à six mois d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Sont par exemple sanctionnées le fait de rendre public de la documentation sur les moyens de contourner une MTP, l’utilisation d’un logiciel permettant de contourner une MTP…
Deux causes d’exonération de responsabilité pénale sont prévues par les textes pour :
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les actes accomplis à des fins de recherche ;
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les actes accomplis à des fins de sécurité informatique.
COMMENT CONCILIER MTP ET EXCEPTIONS AU DROIT D’AUTEUR ?
Tout d’abord, la loi énonce que les mesures techniques ne peuvent s’opposer au libre usage de l’œuvre, et plus particulièrement, elles ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en œuvre effective de l’interopérabilité dans le droit d’auteur. En d’autres termes, toute œuvre, quel que soit son support ou son format, doit pouvoir être lisible sur n’importe quel lecteur, logiciel ou équipement prévu à cet effet. Par ailleurs, le recours à des mesures techniques de protection doit être porté à la connaissance des utilisateurs (article L. 331-12 du CPI).
Le rôle de l’Autorité de régulation des mesures techniques
L’ARMT, Autorité de régulation des mesures techniques (article L. 331-17 du CPI), a été créée par la loi DADVSI du 1er août 2006 et mise en place par un décret du 4 avril 2007. Elle a pour objectif principal l’interopérabilité des mesures techniques et la garantie de la copie privée. L’ARMT peut notamment fixer le nombre minimal de copies privées en fonction du type de support. L’ARMT doit s’assurer que la mise en œuvre des MTP ne prive pas les utilisateurs de certaines exceptions (article L. 331-9 CPI) et les utilisateurs ou la personne morale habilitée à les représenter peuvent la saisir de tout différend portant sur la restriction qu’apporterait les MTP sur ces exceptions.
Peut-on invoquer en justice l’exception de copie privée pour contester les MTP ?
La jurisprudence la plus récente estime qu’en application du test en trois étapes, l’exception de copie privée doit être exclue car elle porte atteinte à « l’exploitation normale de l’œuvre ». Les mesures techniques de protection sont donc entièrement légitimées et elles prévalent sur l’exception de copie privée (Affaire « Mulholland Drive », Cour de Cassation, 28 février 2006).
Par ailleurs, en tant qu’exception légale, la copie privée ne peut être qu’opposée pour se défendre à une action. Elle ne peut pas être invoquée au soutien d’une action formée à titre principal comme constitutive d’un droit (Affaire « Mulholland Drive », Cour d’Appel de Paris, 4 avril 2007).
L’AVENIR INCERTAIN DES MTP
La loi DADVSI avait défendu les MTP en 2006, afin d’assurer aux ayants droit une meilleure protection des œuvres contre les copies illégales. Pourtant aujourd’hui, ces verrous techniques semblent petit à petit être délaissés. Ces mêmes ayants droit qui pensaient mieux protéger leurs œuvres grâce aux MTP semblent désormais remettre en question leur efficacité face à l’échange massif de copies contrefaites via le P2P mais aussi tous les autres réseaux (streaming, sites de direct download, newsgroups…).
De son côté, Warner Music a annoncé le 7 janvier 2009 le retrait des MTP sur son catalogue mondial distribué via les plateformes FnacMusic et VirginMega en France. Jusqu’au 31 décembre 2009, Warner Music entend tester le retrait des MTP à titre d’expérimentation. Le patron de Warner Music France, Thierry Chassagne indiquait alors : « Nous sommes ravis de débuter cette expérimentation avec ces 2 partenaires historiques en France et espérons étendre notre collaboration à d’autres partenaires très prochainement ».
Sony BMG a également annoncé le retrait de ses MTP sur son catalogue de musique à titre d’expérimentation, test qui a débuté le 17 janvier 2009, à l’occasion du lancement du Midem de Cannes le même jour.
Enfin, d’ici la fin du premier trimestre 2009, la Fnac a annoncé pouvoir proposer le catalogue de Sony BMG et d’Universal Music sans mesures techniques de protection.
En réponse à ces différentes annonces, la ministre de la Culture, Christine Albanel a tenu dans un communiqué daté du 8 janvier 2009, à « saluer l’esprit d’ouverture et de responsabilité des industries musicales ». Elle félicite par ailleurs « ce geste en direction des consommateurs, très significatif puisqu’il anticipe de plus d’un an la mise en œuvre des engagements souscrits par les maisons de disques à l’occasion (des accords Olivennes) ». La filière musicale s’était en effet engagée, aux termes des Accords de l’Elysée le 23 novembre 2007, à retirer les DRM du catalogue français de musique à compter d’un an après l’adoption du projet de loi « Création et Internet ». Mais au delà de cette « anticipation », il faut surtout noter dans ces décisions une réelle prise de conscience de la part des industries du disque : il semble que les MTP ne soient désormais plus considérées comme des solutions pour lutter contre la contrefaçon numérique. En effet, plutôt que de contrecarrer les agissements illicites de quelques internautes contrefacteurs, les MTP paraissent davantage pénaliser l’ensemble des consommateurs légaux. L’annonce des retraits des MTP de ces Majors de la musique sonne ainsi comme une véritable avancée pour la création et l’accès à la culture.
Toutefois, en marge de ce bilan relativement positif pour la musique, il reste que les MTP sur les jeux vidéo et des DVD demeurent. Pour les jeux vidéo, l’utilisation des DRM ne semble pas contraindre les utilisateurs dans la mesure où les jeux sont spécialement adaptés à des types de consoles. En revanche, les MTP sont davantage contraignants au niveau des supports audiovisuels. En effet, il arrive que certains DVD ne soient pas lus par tous types de lecteurs, bien que l’un et l’autre aient été achetés légalement. Dans ce contexte, comment favoriser l’offre légale physique des films si les utilisateurs ne parviennent pas à en disposer à leur convenance ?
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