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Les péripéties du projet de loi « Création et Internet » Partie 4

Un an après la mission Olivennes, la loi Création et Internet est peut-être sur le point de voir le jour… 

Le dénouement se rapproche !

Lors de la dernière édition de la saga « Les péripéties du projet de loi « Création et Internet » », nous avions relaté les différents amendements apportés au projet de loi lors de son passage à la Chambre du Sénat les 29 et 30 octobre. Mais quelques jours seulement après, un tumulte de rebondissements a éclaté et de nouveaux éléments gravitant autour de ce texte très controversé sont apparus. A priori, seule l’ultime étape du projet de loi « Création et Internet », à savoir l’examen du texte à l’Assemblée Nationale devant les députés en 2009, pourrait mettre fin aux péripéties…

     LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LE SÉNAT

Le projet de loi « Création et Internet » a été examiné par le Sénat en deux jours, le 29 et le 30 octobre 2008. Le texte a pratiquement fait l’unanimité parmi les sénateurs ayant pris part au vote. Quelles modifications majeures sont ressorties des débats ?

Le projet de loi « création et Internet », tel que le Sénat l’a amendé comporte plusieurs changements significatifs par rapport à sa version initiale et plusieurs points sont à retenir principalement :

  • l’HADOPI ne peut dorénavant être saisie que de faits « constituant un manquement » (et non plus « susceptibles de constituer un manquement »). En d’autres termes, la réunion d’éléments de preuve suffisamment solides est nécessaire pour justifier la mise en marche du mécanisme de « Riposte Graduée » à l’encontre de l’internaute. Par cette nuance, les sénateurs semblent avoir à cœur de garantir que l’internaute appréhendé est bien l’internaute qui a commis le manquement reproché ;
  • les recommandations doivent être motivées. Toutefois, le texte précise désormais que ni le courrier électronique, ni la lettre recommandée ne doivent mentionner les fichiers téléchargés ou mis à disposition, au nom du respect de la vie privée. Nul recours n’est prévu contre les recommandations mais l’abonné peut envoyer ses observations à l’HADOPI ;
  • le caractère « gradué » de la riposte est garanti puisque la sanction ne peut intervenir qu’après la réception d’un recommandé. Une graduation réelle est instituée. Par ailleurs, la durée minimale de la suspension passe de trois à un mois. Les préconisations de CoPeerRight Agency ont aussi été relayées puisque le texte prévoit comme alternative à la sanction : la limitation des services ou de l’accès aux services, en fonction de l’état de l’art, si cela est suffisant pour assurer la protection des œuvres. En revanche, la proposition de transaction amiable n’a pas été retenue ;
  • l’HADOPI doit informer l’abonné de l’existence de voies de recours et des modalités d’exercice de ces recours dès l’annonce de la sanction. En revanche, le sursis à exécution proposé lors des débats n’a pas été retenu : selon Christine Albanel, cela serait « dommageable pour le bon fonctionnement de la procédure » ;
  • l’article L. 331-30 prévoit la certification de la procédure d’évaluation des « moyens de sécurisation », donnant ainsi à l’HADOPI la possibilité de labelliser ces derniers. CoPeerRight Agency approuve totalement ce concept de label puisqu’il permet de garantir l’efficacité et la fiabilité des moyens de sécurisation. Toutefois il aurait été sans doute préférable de certifier également les moyens de sécurisation eux-mêmes et de rendre la labellisation de ces moyens obligatoire et non seulement possible. Par ailleurs, l’abonné peut s’exonérer de sa responsabilité s’il a mis en œuvre l’un des moyens de sécurisation préconisés par l’HADOPI (et non « les moyens », comme le projet le prévoyait auparavant) ;
  •  enfin, on peut relever la disparition de la référence explicite au filtrage des contenus qui a finalement été abandonnée. A ce sujet, CoPeerRight Agency a toujours été sans équivoque : le filtrage des contenus seul ne peut constituer une solution suffisamment efficace (voire rentable) pour lutter à grande échelle contre la contrefaçon numérique sur les différents réseaux.

Depuis l’adoption du projet de loi « Création et Internet » par la Chambre du Sénat, une série d’évènement en faveur ou en désaccord avec le texte sont venus s’ajouter à la liste, déjà longue, des péripéties de la « Riposte Graduée ». 

     DES CAMPAGNES DE COMMUNICATIONS DIVERGENTES  

               La campagne de communication du Ministère de la Culture

Le 30 octobre 2008, le site J’aime les artistes du ministère de la Culture et de la Communication a ouvert ses portes. Cette plateforme se destine à expliquer aux internautes les fondements du projet de loi « Création et Internet » et sa mesure phare, la « Riposte Graduée » au moyen d’un texte baptisé « 10 points clés pour comprendre le projet de loi ». Cette démarche pédagogique tend à sensibiliser les français sur les bienfaits du texte et anticipe même toutes les oppositions et les critiques du projet de loi à travers la rubrique « Dix idées fausses sur le projet de loi ». Par ailleurs, un espace intitulé « découvrir l’offre de téléchargement légal » met à disposition des liens pointant vers des plateformes de téléchargement légales et un lexique relatif au téléchargement, au P2P et au projet de loi « Création et Internet » est également disponible sur le site. Enfin, jaimelesartistes.fr met en ligne des vidéos présentant pour la plupart des interviews d’artistes, de réalisateurs et des personnes-clés de la scène politique actuelle (comme Christine Albanel et le sénateur Michel Thiollière).

Pour soutenir le lancement du site, le ministère de la Culture et de la Communication a prévu également de déployer un vaste plan de communication « pédagogique et fédérateur » à destination des 12-25 ans. Cette campagne est relayée au moyen de différents supports tels que des flyers, un clip vidéo, des affichages, de l’e-mailing, des opérations marketing dans les concerts et des spots radio.   

               Les campagnes de communication anti « Riposte Graduée »

Au lendemain de l’adoption du texte au Sénat, un certain nombre de sites Internet destinés à critiquer le projet de loi ont fleuri sur la toile.

Dans la journée du 30 octobre 2008, l’UFC Que-Choisir a lancé le site Ça va couper, livrant, sur un ton décalé et humoristique, une vision très critique du projet de loi, au travers d’un personnage clé sarcastique  « Dédé », caricature de l’HADOPI obnubilé par la coupure d’accès à Internet.

Le site Numerama a quant à lui créé le site J’aime les internautes le 4 novembre 2008, pastiche du site du Ministère de la culture et de la communication. Selon les propos du webmaster à l’origine du concept, ce site a pour but d’ « indiquer toutes les raisons fondamentales pour lesquelles nous estimons qu’il est indispensable de refuser le projet de loi de Christine Albanel ».

Le site J’aime pas les artistes s’ajoute à la liste des réactions opposantes au projet de loi. Sans doute le plus corrosif, ce site abandonne l’humour choisi par l’UFC Que-Choisir au profit d’un ton plus direct et virulent, avec un discours pour le moins très tranché : « La seule chose qui vous préoccupe, c’est la survie d’industries fossiles qui ne savent pas ou ne veulent pas s’adapter au changement (…) internautes, ne prêtez pas oreille à la propagande étatique, celle-là même qui est à la solde de grands groupes ».

Enfin, le site J’aime les artistes… pas les majors propose un certain nombre de liens pointant vers des sites critiques envers le projet de loi.

     DES ÉVENNEMENTS « COUP DE THÉÂTRE »

               L’avis de la CNIL dévoilé à tort

Le 29 avril 2008, la CNIL a émis un avis consultatif sur le projet de loi « Création et Internet » (dans sa rédaction de l’époque), et de manière exclusivement interne à la CNIL. Le 3 novembre 2008, La Tribune a rendu public cet avis, révélant nombre d’inquiétudes de la Commission vis-à-vis du respect de la protection des données à caractère personnel et de la vie privée des internautes au regard du texte du projet de loi .

Dans la journée même, le président de la CNIL, Alex Türka réagi à la parution involontaire de cet avis puisque cette délibération n’aurait pu être rendue publique que sous l’accord du Gouvernement, ce qui n’était alors pas le cas. Cette publication s’est donc produite hors du cadre légal et l’origine de la « fuite » inconnue a entraîné la CNIL dans une situation de « porte à faux », d’autant plus que depuis cette délibération de la CNIL, en avril 2008, nombre de modifications ont été apportées par les amendements du Sénat.

               L’amendement 138 finalement supprimé

Déjà le 5 novembre 2008, la Tribune publiait un pronostic sur la décision de la suppression de l’amendement 138 par le Conseil des ministres en charge de la Culture et de l’Audiovisuel de l’Union européenne, le 27 novembre 2008. Relayé par Les Ecrans, l’article annonçait que tous les pays membres de l’UE étaient en faveur de la France, c’est-à-dire contre l’amendement 138, à l’exception de quelques pays qui au pire, opteraient pour l’abstention plutôt que l’opposition. Ce pronostic puisait son fondement d’après des « réunions préparatoires que viennent de tenir les sherpas des pays membres ».

Deux jours après, le 7 novembre 2008, la Commission européenne a réitéré un avis favorable à l’amendement 138, estimant qu’il est un « rappel important de principes essentiels du droit qui régissent l’ordre juridique et, en particulier, des droits fondamentaux des citoyens ».  

Mais ce qui était prévu s’est bel et bien concrétisé le 27 novembre : l’amendement 138 a été supprimé par le Conseil des ministres à la majorité, alors qu’il avait été voté à 88% au Parlement européen le 24 septembre 2008. Cet amendement a ainsi été éliminé du Paquet Telecom alors que selon Christine Albanel, il n’allait pas à l’encontre du projet de loi « Création et Internet ». En effet, elle avait déclaré que l’amendement 138 avait suscité « beaucoup de réactions, car certains tentent d’instrumentaliser le débat pour bloquer la démarche française ». Ainsi, c’est officiellement au motif que l’amendement 138 concerne les contenus, qui serait hors sujet vis-à-vis du Paquet Télécom, que son retrait à été voté par les ministres.

Lors du vote ce 27 novembre 2008, seuls les Pays-Bas, la Suède et le Royaume-Uni se sont abstenus, mais le fondateur de l’amendement, Guy Bono, n’a pas déclaré forfait pour autant. En effet, il a annoncé que son amendement serait redéposé avec Daniel Cohn Bendit en deuxième lecture au Parlement européen en 2009. Outré par la suppression de son texte dans le Paquet Telecom, Guy Bono a d’ailleurs déclaré que « Mme Albanel à force de continuer à s’obstiner, va mener la France et les artistes droit dans le mur. Elle ferait bien d’enlever ses œillères, car jusqu’à preuve du contraire, et n’en déplaise au président français c’est le droit communautaire qui s’impose au droit français, et non l’inverse ! ».

               La lettre « critique » de la commission européenne concernant le projet de loi

Bien que la menace potentielle que présentait l’amendement 138 à l’égard du projet de loi français ait été écarté, un nouvel obstacle s’est manifesté le même jour que le vote du Conseil des ministres en charge de la Culture et de l’Audiovisuel de l’Union européenne, le 27 novembre 2008. En effet, la Commission européenne de Bruxelles a rendu publique une lettre dans La Tribune, dans laquelle elle demande des précisions voire des modifications concernant certains aspects du projet de loi. Quelques unes des remarques observées par la Commission méritent particulièrement d’être relevées.

Tout d’abord, Bruxelles s’interroge sur l’élément du projet de loi qui consiste à engager la responsabilité du titulaire de l’abonnement s’il n’a pas mis en œuvre les moyens de sécurisation de la ligne proposés par le FAI. En effet, selon la commission européenne, cela pourrait susciter une surveillance de la part du FAI, qui selon la directive sur le commerce électronique ne doit en aucun cas leur être imposée. Aussi, Bruxelles souhaiterait alors des précisions de la part des autorités françaises pour s’assurer qu’aucune surveillance par les FAI ne soit incluse dans le projet de loi.

Concernant la proportionnalité de la sanction relative à la suspension de l’accès aux services de communication en ligne, la Commission européenne rappelle que la directive du parlement européen (7 mars 2002) garantie un ensemble minimal de services, y compris un accès fonctionnel à Internet, en matière de droit des utilisateurs aux réseaux et services de communications électroniques. Ainsi, elle dénonce le fait qu’aucune notification du projet ne prévoit que la sanction pénale ne s’appliquerait que si la procédure administrative de l’HADOPI a déjà été entreprise afin d’éviter que les deux sanctions, administrative et pénale, ne soient saisies simultanément pour la même personne. La Commission européenne se pose également la question de savoir « comment est justifié le fait qu’un organe administratif et non un organe judiciaire dispose du pouvoir de décider s’il y aurait violation ou non d’un droit d’auteur ou droit voisin ». Elle rappelle par ailleurs l’importance de nos jours de l’accès à Internet, notamment pour les personnes âgées, handicapées ou ayant des besoins sociaux spécifiques, au regard des nombreux services offerts « qui se substituent de plus en plus aux méthodes traditionnelles de communication » : déclarations d’impôt, services bancaires, obtention de documents administratifs, services de réservations de billets d’avion, de concert, d’hôtel… Internet propose en effet l’accès à des services importants voire essentiels. C’est la raison pour laquelle CoPeerRight Agency préconisait plutôt la limitation de l’accès aux services d’Internet ou bien la proposition d’une transaction amiable plutôt que la suspension de la ligne. De plus, Bruxelles souhaiterait s’assurer que les FAI seront bien en mesure de séparer l’offre Triple Play lors de la sanction, afin que ni le téléphone, ni la télévision ne soient coupées lors de la suspension de l’accès à Internet, et ce, sans qu’une obligation de surveillance ne soit engagée.

D’autre part, la Commission européenne craint l’éventualité d’un non respect des droits fondamentaux. En effet, elle soulève le risque qu’un procès équitable soit bafoué au regard des lettres de prévention, dites recommandations, qui ne sont pas sujettes à un recours possible pour l’abonné. Bruxelles ajoute par ailleurs que le projet de loi n’explique pas les garanties qui seraient de nature à éviter les erreurs matérielles possibles au niveau de l’envoi systématique des recommandations.   

Enfin, la publication pour l’heure inexistante de la liste des moyens de sécurisations de la ligne est soulevée par la Commission européenne. En effet, elle rappelle qu’il est nécessaire que tout « projet d’acte » qui implique l’exécution d’un projet de loi doit être notifié. Et de conclure que « les autorités françaises sont invitées à prendre en considération les remarques qui précèdent ainsi qu’à fournir les clarifications demandées avant de procéder à l’adoption du projet notifié ».

               L’examen du projet de loi devant les députés repoussé

Le projet de loi « Création et Internet » connaît nombre de tumultes imprévisibles et le dernier en date a surgi le 5 décembre 2008. En effet, initialement prévu en janvier de l’année prochaine, le passage du projet de loi à l’Assemblé Nationale devrait être repoussé à février voire mars 2009, en raison d’un calendrier trop chargé, selon les informations de pcINpact.

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