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Les péripéties de la « Copie Privée » Partie 3

Réforme européenne sur la taxe pour copie privée

Au regard de la situation inégale entre les pays d’Europe au niveau de la taxe pour copie privée, une réforme européenne s’imposait…

     LES INDUSTRIELS SE LANCENT DANS DES ACTIONS EN JUSTICE

               Des fabricants et distributeurs déposent des plaintes en Europe

Si la redevance pour copie privée est bénéfique pour les ayants droit, elle l’est d’autant moins pour les fabricants et importateurs de supports qui souffrent de la disparité des taxes entre les pays d’Europe. En effet, les écarts sont tels que les consommateurs n’hésitent pas à acheter à l’étranger si la taxe dans leur pays d’origine est trop élevée. C’est malheureusement le cas pour la France, un des pays où la redevance pour copie privée est la plus importante. En effet, nombre de français préfèrent acheter les supports d’enregistrements numériques depuis des sites étrangers, offrant des prix bien plus avantageux que les commerçants de l’hexagone. Plusieurs actions en justice témoignent d’ailleurs de la difficulté pour le marché des supports de se développer dans un contexte où la concurrence saine et loyale fait défaut.

Excédé par la fuite de ses clients vers des sites plus compétitifs étrangers, un distributeur de supports français, la société TopLink avait déposé une plainte à Bruxelles, à l’encontre de la France fin 2007. En effet, ne pouvant rivaliser avec les taxes très faibles que pratiquaient les fabricants étrangers, par exemple 12 cts en Belgique, 13 cts au Portugal ou même 0 ct en Grande Bretagne, le fabricant français pouvaient difficilement écouler ses stocks. A l’époque de la plainte, la taxe pour copie privée attribuée au DVD de 4,7 Go s’élevait à 1,10€ (aujourd’hui, elle est à 1€), constituant ainsi un écart important avec les autres pays d’Europe.

La Commission européenne devra donc rendre prochainement un jugement qui sera sans doute déterminant pour tous les autres cas similaires à cette situation. En effet, cette affaire n’est pas un cas isolé puisque trois autres industriels ont porté plainte, contestant la rémunération pour copie privée qui serait contraire à la libre circulation des biens et des services. Ainsi, Philips a porté plainte contre l’Espagne, la société Imation contre les Pays-Bas et Amazon contre l’Autriche, ces trois procédures ayant déposées devant la Commission européenne.

               Des cybercommerçants saisissent la justice

De même, le site français rueducommerce.com avait saisi la justice au motif qu’il subissait une concurrence déloyale face aux sites étrangers pratiquant des prix plus bas au niveau de la vente de DVD et de CD vierges. En effet, certains sites étrangers non soumis ou peu soumis à la taxe pour copie privée offraient par conséquent des prix beaucoup plus avantageux pour les consommateurs français, que les sites nationaux. Le 15 septembre 2005, le Tribunal de commerce de Bobigny rendait un jugement en faveur du cybermarchand rueducommerce.com, obligeant dorénavant les sites étrangers tels Dabs, Ketta, CD Folie, Megamatic et bien d’autres encore, à préciser dans leurs conditions générales de vente les obligation de déclarations et d’acquittements de la taxe pour copie privée française. Cette obligation s’accompagnait également d’une interdiction pour ces sites de diffuser auprès des consommateurs français, de la publicité en ligne qui ne mentionnerait pas cette taxe en vigueur. S’ajoutaient enfin à ces sanctions des amendes, des dédommagements ainsi que l’obligation de publier ce jugement.

Mais les cybermarchands étrangers ne partagèrent pas ce jugement et certains comme Dabs avaient alors fait appel de la décision. Ils obtenaient ainsi gain de cause en deuxième instance lorsque la Cour d’Appel de Paris infirma la décision du Tribunal de Commerce de Bobigny. En effet, la Cour d’Appel de Paris estimait que les cybermarchands n’étaient pas soumis à l’obligation de communiquer les taxes appliquées aux consommateurs de l’hexagone et pouvaient par ailleurs diffuser leurs prix compétitifs à travers des publicités à destination du public français. Concrètement, la Cour d’Appel reconnaissait la situation inégale entre les cybermarchands français et étrangers mais déclarait qu’elle ne pouvait pour autant la sanctionner pénalement, l’harmonisation de la législation sur la propriété intellectuelle faisant défaut à l’échelle européenne.

Néanmoins, le cybermarchand français, rueducommerce.com, porta cette affaire devant la Cour de Cassation, qui cassa la décision de la Cour d’Appel le 27 novembre 2008. En effet, la Haute juridiction considéra que le site français subissait bien une situation de concurrence déloyale et fonda son jugement sur un point de droit portant sur « l’obligation générale de renseignement ». De ce fait, l’affaire doit à nouveau se représenter devant la Cour d’Appel de Paris, qui devra tenir compte des points de droit évoqués dans le pourvoi en cassation.

     VERS UNE HARMONISATION DES TAXES POUR COPIE PRIVÉE EN EUROPE

               Le phénomène du marché gris trop développé

Ces écarts importants de taxe conduisent, malheureusement pour les commerçants français, au développement d’un marché gris, c’est-à-dire à un marché dans lequel les consommateurs achètent des produits à l’étranger, là où les taxes sont moins élevées voire inexistantes. Ces achats transfrontaliers sont rendus possibles par les cybercommerçants que les internautes adeptes de l’achat en ligne sollicitent de plus en plus. Et les conséquences sur le marché français ne sont pas négligeables : 47 % des ventes de supports en France proviennent de l’importation. A titre d’exemple, en 2006, 40% des baladeurs MP3 ont été achetés à l’étranger ou via des marchés dits « parallèles » dépourvus de taxe pour copie privée « SACEM », soit une perte estimée à 14,42 millions d’euros pour les organismes de gestion de droit (consulter l’étude complète). En principe, le consommateur français qui acquiert un produit à l’étranger est censé faire lui-même la démarche de payer la taxe due pour copie privée à l’organisme français concerné. Cependant, devant l’absence d’information relative à cette obligation sur les cybercommerçants étrangers, peu de français s’acquittent de cette taxe. Pour pallier cette fuite de la consommation vers l’étranger, véritable pertes financières, surtout pour la France, un système de redevance pour copie privée est à l’étude actuellement à l’échelle européenne. Le nombre croissant de plaintes d’industriels déposées à Bruxelles auront eu raison des ayants droit, qui avait obtenu la suspension d’une réforme européenne sur la copie privée début 2007.

               La première tentative de réforme de la copie privée en Europe

En effet, ce projet à l’ordre du jour en Europe prend sa source en 2006, lorsqu’un projet de réforme sur la rémunération de la copie privée fut lancé par la Commission européenne. Cependant, sous la pression des sociétés de gestion des droits d’auteur d’Europe, la SACEM en France mais principalement le Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (GESAC), l’adoption du projet de réforme avait finalement été différée. En effet, les acteurs du monde de la culture y voyaient une menace pour leurs sources de revenus : 5 % de leurs ressources proviendraient de la rémunération pour copie privée. D’ailleurs, en 2007, la redevance pour copie privée a rapporté à l’ensemble des bénéficiaires, c’est-à-dire les ayants droit, pas moins de 154 millions d’euros.

               La reprise du projet de Bruxelles sur la taxe pour copie privée

Ainsi, le Commissaire européen responsable du Marché Intérieur et des services, Charlie McCreevy, a de nouveau remis « sur le tapis » ce projet de redevance pour copie privée, en lançant tout d’abord le 14 février 2008 une consultation au niveau européen afin de remédier aux écarts de taxation entre les différents pays du vieux continent : « J’espère que cette nouvelle série de consultations permettra d’apporter des solutions aux écarts engendrés par l’application inégale des redevances », avait-il alors indiqué. Cette consultation s’est achevée le 18 avril 2008 pour aboutir à la création le 27 mai 2008, d’un forum européen sur la copie privée visant à discuter de l’impact de la redevance pour copie privée sur l’environnement numérique entre sociétés de gestion collective, industriels, représentants d’artistes et associations de consommateurs.

D’ailleurs, la Commissaire européenne responsable de la Société de l’information et des médias, Vivian Reding, l’avait dit : « Le secteur du contenu européen souffre (…) de la présence de sérieux désaccords entre les parties intéressées sur des questions aussi fondamentales que les taxes et la copié privée ». Reste que la réforme devra se soumettre à un vote pour être définitivement apportée, sauf si les ayants droit parviennent une nouvelle fois à repousser le projet… D’ailleurs, les craintes d’une riposte des ayants droit est sérieusement envisagée par la Commission européenne, comme le soulignait un « proche » du dossier copie privée : « les ayants droit vont se rembourser d’une main ce qu’ils auront à payer de l’autre ». Autrement dit, la métaphore est claire : ce qu’ils perdront en rémunération sur certains supports sera compensé par la création de nouvelles taxes sur d’autres supports.

Actuellement, des discussions ont lieu à Bruxelles afin de définir les moyens de lutte contre le non-paiement de la taxe pour copie privée. En effet, la Commission européenne organise un dialogue entre des représentants d’ayants droits, d’industriels et de consommateurs afin de mettre un terme aux fossés qui séparent les montants des rémunérations pour copie privée entre les différents pays européens. Toutefois, la partie est loin d’être gagnée d’avance car comme le représentant de la Sorecop (copie privée sonore) le disait, « tant que certains pays européens ne pratiqueront pas la rémunération pour copie privée ou que d’autres pratiqueront des taux de rémunération pour copie privée extrêmement faibles et que seule la baisse considérable du montant de la rémunération pour copie privée permettra d’éviter la création de marchés parallèles d’approvisionnement, le phénomène de marché gris perdurera ». Aussi, l’objectif de ces réunions à Bruxelles est d’arriver à trouver une harmonie des taxes pour copie privée entre tous les pays européens, afin de lutter contre le phénomène du marché gris. D’ailleurs, les industriels estiment qu’au-delà de 5 % de taxe, les consommateurs n’hésitent pas à commander leur DVD via Internet à l’étranger. Ainsi, la solution préconisée par la société de perception sonore française pour harmoniser les taxes est de créer ou d’augmenter la rémunération pour copie privée dans les pays où elle n’est pas assez élevée. En somme, ces ayants droit préfèrent élever à la hausse la taxe jugée trop faible dans certains pays d’Europe plutôt que de baisser la redevance en France afin de l’harmonier avec ces pays où elle est peu élevée.

Déjà en 2007, le GESAC (organisme regroupant la plupart des sociétés collectives européenne comme la SACEM, la SABAM, la Buma…) avait publié un rapport dans le cadre du projet européen de réforme sur la taxe pour copie privée de 2006, préconisant les solutions qui permettraient de faciliter la collecte de la rémunération pour copie privée. Plusieurs axes majeurs ressortaient de ce rapport, hormis l’harmonisation des taxes, parmi lesquels figurait l’adaptation de la redevance en fonction du destinataire finale. Par exemple, un vendeur portugais devrait reverser la redevance aux bénéficiaires de la taxe pour copie privée français si le consommateur est français. De plus, étaient préconisé des sanctions en cas de non-paiement de la redevance, le GESAC voulant faire de ce manquement une infraction pénale. Enfin, le GESAC préconisait le blocage de l’accès aux sites sur lesquels les produits sont vendus sans paiement de la rémunération pour copie privée.

*

Il faudra désormais attendre la rédaction définitive de la réforme européenne, à l’issue de ces discussions entre les professionnels du secteur concernés, pour connaître exactement les mesures qui seront retenues pour tenter de limiter le phénomène du marché gris qui tend à se développer de plus en plus. En tout état de cause, la question qui s’impose au niveau des différences du montant des taxes pour copie privée entre les pays européens est de savoir si l’ampleur de la contrefaçon numérique ne contribue pas à cet écart. En effet, nous l’avions vu dans un post précédent, en France, les industriels avaient porté plainte devant le Conseil d’Etat pour dénoncer la prise en compte de la contrefaçon numérique dans l’évaluation de la redevance pour copie privée des CD, DVD, disques durs externes et internes et les appareils de salon du 20 juillet 2006. Le Conseil d’Etat leur avait donné gain de cause, reconnaissant de ce fait que la Commission d’Albis avait bien pris en compte, à tort, cet élément dans l’évaluation de la taxe pour copie privée. Aussi, on peut s’interroger sur la méthode d’évaluation de la redevance dans les autres pays européens. Si les autres pays d’Europe faisaient comme les français il y a encore peu de temps, cela signifierait-il que là où la redevance pour copie privée est faible, il y a peu de contrefaçon numérique ? A fortiori non, aussi serait-il essentiel que cette réforme européenne permette, en plus de réduire le phénomène de marché gris, d’établir les obligations et les interdictions encadrant le calcul de la redevance pour copie privée afin d’éviter tout débordement. 

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