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Les péripéties de la loi « Création et Internet » partie 4

Le projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet » a été examiné en un jour et adopté dans la foulée par le Sénat …

Au total, ce sont 17 amendements qui ont été examinés lors de l’examen du projet de loi au Sénat le 8 juillet 2009. Alors que le passage de la loi dans les mains des sénateurs devait s’échelonné sur deux jours, les 8 et 9 juillet, le Sénat a finalement rendu son verdict au bout de 4 heures de débats dès la première journée. Sur les 17 amendements, seul un a été adopté, tandis qu’un autre a été retiré avant l’ouverture de la séance, tous les autres ayant été rejeté. La version du projet de loi du Sénat s’avère par conséquent presque identique à celle de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication.

     DEMANDE DE MOTION DE RENVOI EN COMMISSION DES LOIS PAR L’OPPOSITION

               Ouverture des débats : la majorité défend le projet de loi

Le passage du projet la loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet » au Sénat le 8 juillet 2009 a été étonnamment court et marqué par des débat particulièrement rapides autour de seulement 17 amendements. En préambule, c’est la ministre de la justice, Madame Michèle Alliot-Marie qui a pris la parole, afin d’introduire les débats. La ministre de la Justice a pris soin en premier lieu de détailler et de justifier le projet de loi venant « compléter l’arsenal législatif » déjà existant dans les lois. Faisant le distinguo entre deux types de comportements chez les internautes, Madame Michèle Alliot-Marie s’est attachée à expliquer les sanctions prévues par le projet de loi. D’une part, il existe les internautes auteurs de téléchargements illégaux qui se rendent coupables de délit contrefaçon « puni d’une peine maximale de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende », prévu initialement par le code de la propriété intellectuelle. A ce sujet, le projet de loi introduit au délit de contrefaçon une peine complémentaire consistant à « suspendre pendant un an l’accès à internet des internautes reconnus coupables ». Sur ce point, la ministre a précisé que cette peine complémentaire, mieux adaptée à ce type de délit commis sur Internet, « pourra être prononcée à la place de la peine d’emprisonnement ». D’autre part, la ministre de la justice a différencié le cas des abonnés à Internet, coupables de négligence caractérisée en laissant leur ligne être utilisée pour commettre des téléchargements illégaux. Pour ce type de comportement, Madame Michèle Alliot-Marie a indiqué que l’abonné serait sanctionné pénalement par une contravention de cinquième classe, « passible d’un mois de suspension de l’accès à Internet », ne manquant pas cependant d’ajouter que, elle en était convaincu, « dans l’immense majorité des cas, il ne sera pas nécessaire d’en arriver là : la dissuasion est notre principal objectif ». Aussi, devançant toutes critiques à l’égard de ce projet de loi, la ministre de la justice a insisté sur le fait que la présomption d’innocence était garantie dans la mesure où « il reviendra au parquet, sous le contrôle du juge, de prouver que l’abonné s’est rendu coupable de négligence par des faits objectifs et tangibles ». Aussi, estimant que pour optimiser l’effet pédagogique du projet de loi, les sanctions devaient être rapides, la ministre a considéré que « la voie de l’ordonnance pénale et la compétence du juge unique » était la procédure judiciaire adaptée. A nouveau, Madame Michèle Alliot-Marie a tenté de couper l’herbe sous le pied des éventuels contre-arguments de l’opposition, arguant que l’ordonnance pénale était respectueuse des droits de la défense, du principe du contradictoire, des principes fondamentaux du droit et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Enfin, la ministre a conclu dans son discours que le projet de loi examiné était « équilibré » et « cohérent avec les finalités de la loi votée par le Parlement ».

Puis, la ministre a été relayée par le Sénateur Michèle Thiollière, rapporteur du projet de loi au Sénat, lequel a exposé quelques chiffres alarmant du phénomène massif de la contrefaçon numérique, avant de s’attacher à détailler le rôle de la Haute Autorité relatif au volet pédagogique du projet de loi. Le sénateur s’est également exprimé sur la sanction pesant sur l’abonné en cas de réabonnement illicite à un FAI, et ce, malgré son interdiction dans le cadre du délit de négligence caractérisée, qui sera puni de 3750 euros d’amende. Monsieur Michèle Thiollière a précisé que cette sanction pécuniaire était volontairement moins sévère que celle prévue initialement par l’article 4 du projet de loi, à savoir une peine de prison. Par ailleurs, le sénateur a confirmé que d’une part, pour le délit de négligence caractérisée, la sanction de suspension de l’accès à Internet ne figurerait pas sur le bulletin n°3 du casier judiciaire et que d’autre part, la HADOPI ne garderait pas les données à caractère personnel « plus longtemps que la procédure ne l’exige ». Enfin, concernant l’obligation des FAI d’appliquer la sanction de suspension de la connexion à Internet d’un abonné, Monsieur Michèle Thiollière a indiqué qu’ils auraient 15 jours de délai.

               Demande de renvoi en commission : l’opposition soulève les failles du projet de loi

Du côté de l’opposition, les sénateurs se sont succédés pour remettre en question le bien-fondé du projet de loi et révéler leurs intentions de vote. Aussi, dénonçant de nombreuses problématiques, les sénateurs de l’opposition ont demandé le renvoi en commission des lois du projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet ».

Le sénateur Serge Lagauche du groupe socialiste a exprimé l’avis des membres de son parti, « sceptiques sur l’efficacité du dispositif ». Affirmant que la démarche gouvernementale n’avait pas été pertinente, le sénateur a déclaré au ministre de la culture, Monsieur Frédéric Mitterrand, « nous ne pouvons approuver ce texte », appuyé par le sénateur Jack Ralite, du parti communiste. En effet, ce dernier n’a pas manqué de tacler la procédure de l’ordonnance pénale introduite par le projet de loi, outré que la commission des lois n’ait pas été saisie sur le sujet. Monsieur Jack Ralite s’est révélé indigné d’être dans « une situation ″Hadopitoyable″ » avec un projet de loi « Hadopire » que le précédent sur la loi « Création et Internet ». Aussi a-t-il affirmé que son parti voterait contre le texte. Quant à Madame Françoise Laborde du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, elle a indiqué qu’elle s’abstiendrait de voter le projet de loi, considérant que le texte de loi ne répondait pas au défi de relancer l’économie de la culture sur Internet et de promouvoir la création artistique. Regrettant que le projet de loi ne prévoit pas de licence globale, « seule solution susceptible, en préservant les libertés publiques, d’assurer la rémunération des artistes », Madame Françoise Laborde a également tenu à avertir les sénateurs sur l’avenir du texte. En effet, la sénatrice a prévenu qu’en raison de l’atteinte aux principes de séparation des pouvoirs, de proportionnalité des peines et de respect des droits de la défense, le projet de loi « ne passera pas plus que le précédent le barrage du Conseil constitutionnel ». Pour Monsieur David Assouline, sénateur PS, les estimations chiffrées de la HADOPI ne seront pas dissuasives pour les internautes contrefacteurs. En effet, sur les 450 000 téléchargements illégaux quotidiens dénombrés par l’étude de l’ALPA, chiffre qui laisse perplexe le sénateur tant il considère qu’il est sous-estimé, seulement 50 000 cas feront suites à des sanctions, soit moins de 0.03% du volume total des délits de contrefaçon, « une goutte d’eau… » selon lui. Le sénateur David Assouline pointe du doigt l’ordonnance pénale qui n’est pas adaptée à ce type d’infraction, non « comparable au comportement délictuel des chauffards ». Aussi, qualifie-t-il le processus envisagé par le gouvernement « d’usine à gaz », dépourvu totalement « d’offres légales riches, diversifiées, aisément accessibles par tous et bon marché ». Enfin, parmi l’opposition, Madame Alima Boumediene-Thiery du PS s’est longuement exprimée et a énuméré pas moins de quatre grandes difficultés au projet de loi, qu’elle qualifie de « bricolages juridiques, indigestes et inapplicables ». Selon la sénatrice, quatre failles sont problématiques dans le texte de loi dont le fait de permettre aux agents assermentés du ministère de la culture et des sociétés privées de constater des infractions pénales dont les procès-verbaux feront foi jusqu’à preuve contraire et ce, sans pouvoirs de police judiciaire. La sénatrice a également dénoncé l’absence de garanties d’un procès équitable, la violation du principe de présomption d’innocence et le recours abusif à la procédure simplifiée, contraire de surcroît au principe de proportionnalité. Mais si l’opposition s’est exprimée définitivement contre le projet de loi, le groupe centriste, au nom duquel la sénatrice Catherine Morin-Dessailly s’est exprimée, s’est révélé plus paratgé. En effet, Madame Catherine Morin-Dessailly avait annoncé que « la majorité du groupe de l’Union centriste votera le texte ».    

               Rejet de la demande de renvoi en commission 

A la suite des différentes élocutions des sénateurs, le ministre de la culture, Monsieur Frédéric Mitterrand, a tenu à répondre aux critiques émises par les différents sénateurs de l’opposition, en indiquant que la loi n’était « ni bricolée, ni bâclé », mais qu’elle était « le fruit d’une longue réflexion ». Aussi, sur la demande de renvoi du projet de loi en Commission des lois, Monsieur Jacques Legendre, Président de la Commission de la culture a appelé à « ne pas donner suite à cette demande de renvoi en commission ». Ainsi, la motion de renvoi du groupe CRC-SPG a donc été mise aux voies par scrutin public. Avec 140 voies pour le renvoi et 198 contre, le Sénat a finalement rejeté la demande de renvoi en Commission des lois du projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet ».

     EXAMEN DES AMENDEMENTS DÉPOSÉS

Ce sont seulement seize amendements qui ont été successivement défendus puis mis au vote durant les quelques heures de débat consacrés au projet de loi, un amendement ayant été finalement retiré avant la séance. Les amendements portaient uniquement sur les articles 1, 2 et 3 du projet de loi et au total, seul un d’entre eux a été adopté.

               Sur les articles 1 et 1 ter relatifs à la constatation des infractions commises 

  • Amendement n°1 (rejeté) : il consistait à faire constater les infractions sous le contrôle de l’autorité judiciaire, afin d’assurer la séparation des pouvoirs. Tout d’abord, l’amendement voulait rendre nécessaire l’autorisation d’un juge pour effectuer des opérations de constatation, veiller à ce qu’un officier de police judiciaire vérifie et assiste au bon déroulement de ces opérations et remettre au procureur de la République les procès-verbaux établis. De plus, afin de garantir la présomption d’innocence, l’amendement n°1 entendait supprimer la phrase « les procès-verbaux font foi jusqu’à preuve contraire » et permettre aux internautes d’être entendus par les agents assermentés et les membres de la commission de protection des droits avant l’établissement des procès-verbaux.
  • Amendement n°7 (rejeté) : sur le même principe que l’amendement n°1, cet amendement visait à obliger les agents assermentés et les membres de la commission de la protection des droits à constater des infractions seulement « après en avoir préalablement informé le procureur de la République qui peut s’y opposer ».
  • Amendement n°10 (rejeté) : cet amendement aspirait à supprimer les deux derniers alinéas de l’article 1 qui dit que les agents « peuvent en outre recueillir les observations des personnes concernées. Leurs procès verbaux font foi jusqu’à preuve contraire », afin de pallier l’introduction de la présomption de culpabilité faite sur l’internaute. L’amendement n°10 proposait de mettre à la place cet alinéa ainsi rédigé : « Ils dressent un procès-verbal de leurs déclarations. Les personnes entendues procèdent elles-mêmes à sa lecture, peuvent y faire consigner leurs observations et y apposent leur signature. Si elles déclarent ne pas savoir lire, lecture leur en ai faite par l’agent assermenté préalablement à la signature. Au cas de refus de signer le procès-verbal, mention en est faite sur celui-ci ».
  • Amendement n°8 rectifié bis (adopté) : avec l’adoption de cet amendement, l’internaute repéré pourra être entendu pour se défendre. Ainsi, il est rajouté à l’article 1 cet alinéa : « Ils [les agents assermentés] convoquent et entendent les personnes concernées, lorsqu’elles le demandent. Toute personne convoquée a le droit de se faire assister d’un conseil de son choix ».
  • Amendement n° 9 (rejeté) : dans le même esprit que l’amendement n°10, cet amendement visait à supprimer le dernier alinéa de l’article L.331-21-1 qui dit que «  Leurs procès-verbaux font foi jusqu’à preuve contraire ».
  • Amendements n°2 et 11 identiques (rejetés) : sur l’article 1 ter, cet amendement proposait que les recommandations envoyées à l’abonné informent sur les voies et délais de recours qui lui sont possibles, en plus d’avertir quant aux sanctions encourues.   

               Sur l’article 2 relatif à la procédure du juge unique et aux ordonnances pénales

  • Amendement n°12 (rejeté) : à travers cet amendement, l’opposition a tenté de supprimer l’article 2 mettant en place la procédure simplifiée par ordonnance pénale prononcée par un juge unique. Cet amendement a été déposé avec la volonté d’éviter une justice trop expéditive, puisque les 50 000 procédures estimées annuelles impliqueraient que le « temps de traitement de chaque dossier serait de trente-cinq minutes, dont trente consacrées à la préparation de l’audience, à sa tenue et à la rédaction de la décision ». De plus, l’opposition s’est fondée sur les observations du Conseil constitutionnel qui juge qu’une ordonnance pénale doit être réservée à des cas où les garanties égales sont assurées, à savoir le respect du principe des droits de la défense, l’existence d’une procédure juste et équitable ainsi que des faits reprochés au prévenu résultant d’enquêtes de police judiciaire et suffisants pour permettre la détermination de la peine. Or, dans l’exposé de l’amendement n°12, l’opposition a pointé du doigt le fait que l’article 2 ne mettait pas en place d’enquête de police judiciaire « puisque c’est une autorité administrative qui réunira les preuves ».
  • Amendements n°3 et 13 identiques (rejetés) : ils visaient à supprimer le II de l’article 2 qui vient rajouter à l’article 495 du code pénal un 6° « les délits prévus par les articles L. 335‑2, L. 335‑3 et L. 335‑4 du code de la propriété intellectuelle », qui permet ainsi que les délits de contrefaçon puissent être sanctionnés via la procédure d’ordonnance pénale. 

               Sur les articles 3 et 3 bis relatifs à la sanction complémentaire

  • Amendements n°4 et 14 (rejetés) : ces amendements avaient pour vocation de supprimer l’article 3 du projet de loi, portant tout particulièrement sur l’introduction de la peine complémentaire au délit de contrefaçon, la suspension de la connexion à Internet. En effet, l’opposition a considéré que la sanction était « techniquement difficile à mettre en œuvre », « disproportionnée et inadaptée » et qu’obliger l’internaute à continuer à payer son abonnement était « terriblement injuste ».
  • Amendement n°17 (rejeté) : il aspirait à supprimer l’expression « communications électroniques » dans la phrase « Lorsque l’infraction est soumise au moyen d’un service de communication au public en ligne ou de communication électroniques ». Selon l’opposition qui a déposé cet amendement, cette expression inclut la surveillance des correspondances par e-mail ou messagerie instantanée, constituant dès lors une « atteinte à la vie privée ».
  • Amendement n°15 (rejeté) : avec cet amendement, l’opposition souhaitait supprimer les alinéas 4 et 5 de l’article 3 du projet de loi, selon lesquels d’une part l’abonné est tenu de continuer à payer son abonnement en cas de suspension de la connexion à Internet et d’autre part les frais de résiliation de l’abonnement au cours de la période de suspension sont à sa charge. L’opposition souhaitait ainsi éviter la double peine instaurée par le projet de loi.
  • Amendements n°5 et 16 identiques (rejetés) : ils visaient à supprimer l’article 3 bis du projet de loi concernant l’introduction du délit de négligence caractérisé sanctionné d’une contravention de cinquième classe, au motif qu’il ferait peser sur l’abonné une présomption de culpabilité et qu’il serait difficile pour l’abonné de prouver que sa ligne ait fait l’objet d’une intrusion illégale à son insu. 

*

Au terme de l’examen des amendements, dont un seul a été finalement adopté, le Sénat a procédé au vote du projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire été artistique sur Internet » et l’a adopté sans trop de surprises. Néanmois, contrairement à l’examen de la loi « Création et Internet », le Sénat s’est montré beaucoup moins tranché. En effet, sur 331 suffrages exprimés 189 sénateurs ont voté pour l’adoption du projet de loi et 142 ont voté contre. Une position nettement moins unanime que lors des votes précédents sur la loi « Création et Internet ». Dés lors, si les votes ont été autant partagés au Sénat, tout laisse à penser que le scrutin qui aura lieu à l’Assemblée Nationale pour adopter le nouveau projet de loi risque d’être également très serré, les débats des députés étant toujours beaucoup plus passionnés…

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